La caféine sous surveillance

La caféine, l’ennemi intime

Le sport et la caféine entretiennent une histoire d’amour sulfureuse. Après avoir été considérée comme un produit dopant puis retirée de la Liste des interdictions, cette substance si familière retrouve cette année sa place dans le programme de surveillance de l’AMA. Voici ce qu’il faut savoir.

Nectar divin, boisson diabolique

La longue histoire des origines du café résonne de manière étonnante avec les rapports récents que la caféine entretien avec le sport. La mythologie de cette boisson veut que ce soit un berger éthiopien, répondant au nom de Kaldi, qui remarqua le soudain gain en vivacité de ses chèvres après que celles-ci eurent pâturé près de caféiers. La légende veut que ce même berger fût séduit par les arômes émanant de la combustion des branches de cet arbuste. Les études génétiques prouvent aujourd’hui que le café est bien originaire d’Éthiopie et que sa consommation locale remonte vraisemblablement à la préhistoire. Ses vertus stimulantes sont à l’origine de sa légende.

À partir du VIe siècle, le café remonta vers le Moyen-Orient par le Yémen, via les Soufis qui en appréciaient les effets sur la clarté d’esprit de celui qui en consommait. À partir du Xe siècle, les Éthiopiens commencèrent à torréfier le café dans des braises en plus de les broyer en bouillies utilisées en pharmacie, à l’image du cacao chez les Aztèques. Le café ou K’hawah devint rapidement une véritable religion dans les pays bordant la Mer Rouge. Il se répandit ensuite dans toutes la Perse puis en Turquie. Très vite, on s’interrogea sur les effets du café. Au début du XVIe siècle, alors que l’on tentait de savoir si cette boisson noire comme l’encre était conforme au Coran – celui-ci interdisant tout forme d’intoxication et toute consommation de charbon –, un adversaire du café affirma qu’il avait le même pouvoir enivrant que le vin. Les experts en Saintes Écritures restèrent sceptiques et préférèrent bastonner l’opposant qui, manifestement, connaissait un peu trop les effets du vin ! Les médecins ne tardèrent pourtant pas à reconnaître les puissants effets du café, qui fut interdit durant une courte période avant que sa popularité rendît vaine toute prohibition et forçât le sultan du Caire à en autoriser la boisson.

Même son de cloche en Europe, où la folie du café se répandit rapidement à partir du XVIIe siècle. On demanda même au pape Clément VII d’interdire le commerce de cette boisson « d’infidèles », mais celui-ci, après avoir trempé ses lèvres dans une petite tasse, jugea qu’il serait dommage que le monde chrétien se privât d’un tel plaisir et décida, au contraire, de baptiser le café qui gagne alors le monde entier. Les cafés deviennent rapidement des lieux de liberté où s’expriment les idées libérales et où naissent les révolutions, renforçant son image sulfureuse. Tout au long de sa rapide conquête des mœurs, le café a toujours été considéré de manière ambiguë, entre séduction pour ses vertus stimulantes et répulsion pour ses travers addictifs et certains de ses effets délétères sur la santé. Balzac, connu pour boire jusqu’à 50 tasses de café par jour afin d’abattre son travail herculéen, est mort de caféisme, une overdose de café.  Boisson des fous pour les uns, nectar divin pour les autres, le café est rapidement devenu le breuvage des poètes, des écrivains, des intellectuels… mais aussi des sportifs.

coffee-1009800_1920
Le café se divise en deux grandes familles : le robusta, commun et au goût plus amer, et l’arabica, dont la lente maturation lui confère des arômes plus subtils. La caféine est cependant présente dans bien d’autres plantes, comme le thé, le chocolat ou la guarana.

Pour résumer :

  • Le café et la caféine sont consommés depuis la nuit des temps et leurs effets psychotropes sont connus depuis la préhistoire
  • L’histoire du café et de la caféine oscille sans arrêt entre adoration, pour leur action sur la somnolence, la concentration et la vivacité, et rejet, pour leur dangerosité et leur propension à rendre « accro ».
cup-2619216_1920
La caféine appartient à la grande famille des alcaloïdes, où l’on trouve également la nicotine, la morphine ou la cocaïne.

Pour résumer :

  • La caféine, par sa proximité avec l’adénosine, passe la barrière hémato-encéphalique qui sépare la circulation sanguine du cerveau et celle du reste du corps
  • La caféine inhibe l’adénosine, responsable, entre autres, de la mise en sommeil à onde lente (réparation physique) du corps, et augmente la sécrétion d’adrénaline et de dopamine.
  • La caféine réduit la sensation de fatigue (et non la fatigue elle-même), agit comme un psychostimulant et augmente la concentration tout en ayant un effet antalgique limité
  • La caféine, métabolisée par le foie, augmente également la lipolyse (transformation des graisses en glycogène et en acides gras), la quantité d’urine (effet diurétique) et agit, faiblement, sur les muscles lisses des bronches (traitement contre l’asthme).

Action rapide

La caféine est découverte en 1819 par le chimiste allemand Friedlieb Ferdinand Runge qui l’appelle ainsi (« Kaffein ») en raison de sa présence en quantité notable dans le café. Mais on retrouve de la caféine, ou méthylthéobromine, dans de nombreux aliments, comme le chocolat, ou dans de nombreuses feuilles, comme le maté, le thé ou la guarana. Elle entre aussi aujourd’hui dans la composition de sodas célèbres ou encore dans celles de boissons énergisantes. Son pouvoir psychotrope, on l’a vu, est connu depuis la nuit des temps. Dans la nature, la caféine sert d’insecticide naturel, paralysant ou même tuant les insectes susceptibles de se nourrir des plantes qui en contiennent.

La caféine appartient à la grande famille des alcaloïdes, aux côtés de la morphine, de la cocaïne ou encore de la nicotine. Sous forme pure, ces molécules ont une forte toxicité et provoquent des effets d’accoutumance. La caféine n’échappe pas à cette règle. La caféine agit sur les récepteurs de l’adénosine, un neurotransmetteur neuronal, principal artisan du sommeil à ondes lentes, celui en charge de la réparation de la fatigue physique. En « empêchant » l’action de l’adénosine, la caféine agit ainsi directement sur la somnolence. Il en résulte une vigilance accrue et une amélioration de la concentration. Contrairement à bon nombre d’idées reçues, la caféine est rapidement absorbée par le tube digestif. Les nombreuses études montrent que les effets débutent 15 minutes après l’absorption et que le pic de concentration dans le sang est atteint au bout d’une heure. Après 24 heures, toute trace de caféine dans l’organisme disparaît.

Sa proximité avec l’adénosine lui permet de passer la barrière hémato-encéphalique, rendant possible son accès aux neurones. En « prenant la place » de l’adénosine, la caféine a une action désinhibitrice de l’activité cérébrale, entraînant la production d’adrénaline et de dopamine. Si ces substances peuvent avoir des vertus intéressantes dans le cadre sportif (augmentation d’apport du sang dans le muscle ou résistance accrue à la douleur), elles ont aussi des effets délétères, comme l’augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle.

Métabolisée par le foie, la caféine est transformée en trois isomères aux propriétés différentes. La très grande majorité est métabolisée en paraxanthine dont l’effet est d’augmenter la lipolyse, le mécanisme qui « casse » les graisses et les transforme en acides gras et en glycérol. Cette propriété explique la place prépondérante prise par la caféine dans les régimes. Il est tout de même important d’avoir à l’esprit que cette action n’augmente pas en fonction de la dose de caféine ingérée : à partir d’une quantité somme toute réduite (2 à 6 mg/kg/jour), les effets sur la lipolyse n’augmentent plus. Un peu plus de 10% d’une dose de caféine ingérée est également métabolisée en théobromine, connue pour dilater les vaisseaux sanguins et pour augmenter le volume d’urine, d’où la propriété diurétique de la caféine. Enfin, moins de 5% de la caféine sont transformés en téhophylline, dont l’action sur les muscles lisses des bronches est avérée. À des doses bien supérieure que celle induites par une consommation normale de caféine, la théophylline est utilisée pour traiter l’asthme.

Équilibre précaire

On l’a vu, la caféine, à dose modérée soit au maximum une demi-douzaine de tasses de café ou trois litres de thé par jour, permet d’augmenter la capacité de travail mental et physique. Différentes études montrent une différence importante dans les performances entre des sportifs ayant consommé de la caféine et d’autres non consommateurs, principalement dans des épreuves d’endurance et de distance (cyclisme, course à pied, etc.). Pour autant, ces propriétés sont vite contrebalancées par les effets secondaires, de la caféine, en grande partie incompatibles avec une activité sportive et, surtout, avec l’obtention de résultats. On pense à son effet diurétique, couplé au fait que la caféine entraîne le relâchement du sphincter anal interne et donc des diarrhées, par exemple. L’hyperglycémie, due à la lypolyse, l’accélération du rythme cardiaque, la somnolence ou l’anxiété sont autant d’effets contraires à une pratique sportive efficace qui apparaissent même dans le cadre d’une absorption raisonnable. En outre, il convient de garder à l’esprit que l’adénosine stimule le sommeil à onde lentes, celui en charge de la réparation des muscles et de la fatigue physique… pour le moins utile pour un sportif ! La consommation de caféine influe donc directement sur la capacité à récupérer rapidement.

Au-delà des doses maximales recommandés, les effets négatifs deviennent dangereux. Anxiété, excitation, insomnie, rougeurs de la face, troubles digestifs, contractions involontaires, irritabilité, arythmie cardiaque et tachycardie sont fréquents. À plus forte dose, délire hallucination, psychose et rhabdomyolyse (destruction du tissu musculaire) ont été constatés. L’overdose est difficilement atteignable par une consommation classique de café ou de boissons caféinées. Il existe cependant des compléments alimentaires qui en contiennent en quantité très concentrée, jusqu’à 3 200 mg dans certains produits vendus aux États-Unis par exemple. À ce niveau de concentration-là, la limite mortelle n’est pas loin et les cas d’overdoses létales ont déjà été recensés. En 2014, par exemple, un jeune lutteur américain est décédé en plein combat. Son autopsie révélera la présence de 70 microgrammes de caféine par litre de sang, soit plus de 20 fois la dose contenue dans un soda ou un café. Les boissons énergisantes sont responsables de l’augmentation du nombre des intoxications à la caféine.

redbull
Les boisson énergisantes (Red Bull, Burn, Monster, etc.) sont à l’origine de l’augmentation drastique des cas d’intoxication à la caféine depuis 2000. Une tasse de café Robusta contient environ 115 mg de caféine (entre 1,5 et 3%), c’est deux fois plus qu’une tasse d’Arabica qui en compte 59mg. Il y a environ 120mg dans un expresso et 2mg dans un « déca ». Comptez 80 mg de caféine dans un Red Bull de 0,25 cl et 40 mg dans un Coca Cola de 33 cl. Deux cuillères à café de thé contiennent entre 50 et 150 mg de caféine selon la variété (les thés blancs et verts sont très concentrés). Enfin, 100g de cacao à 85% contiennent 130 mg de caféine, tandis que la même portion de chocolat au lait n’en comprend « que » 15 mg.

Pour résumer :

  • La caféine, par sa proximité avec l’adénosine, passe la barrière hémato-encéphalique qui sépare la circulation sanguine du cerveau et celle du reste du corps
  • La caféine inhibe l’adénosine, responsable, entre autres, de la mise en sommeil à onde lente (réparation physique) du corps, et augmente la sécrétion d’adrénaline et de dopamine.
  • La caféine réduit la sensation de fatigue (et non la fatigue elle-même), agit comme un psychostimulant et augmente la concentration tout en ayant un effet antalgique limité
  • La caféine, métabolisée par le foie, augmente également la lipolyse (transformation des graisses en glycogène et en acides gras), la quantité d’urine (effet diurétique) et agit, faiblement, sur les muscles lisses des bronches (traitement contre l’asthme).

Consommation et dépendance

En passant la barrière hémato-encéphalique, la caféine s’installe aisément dans le cerveau qui s’habitue à sa présence et y prend goût. Chez les consommateurs réguliers de café, on note ainsi une multiplication des récepteurs de l’adénosine, ceux qui accueillent la caféine. De fait, comme pour toute accoutumance, pour une même dose, les effets psychotropes deviennent de plus en plus réduits. Ensuite, un sevrage de caféine, en permettant le retour actif de l’adénosine, va en multiplier les pouvoirs physiologiques (fatigue, dilatation des vaisseaux sanguins entraînant des céphalées, nausées, bradycardie, perte de concentration, etc.) et entraîner une sensation de manque, avec tous les symptômes de sevrage qui vont avec. On constate alors l’apparition de céphalées, une irritabilité accrue, des difficultés à se concentrer… Ces effets pervers disparaissent généralement au bout de cinq jours, une fois le nombre de récepteur de l’adénosine revenus à leur quantité normale.

De nombreux experts estiment que les effets psychotropes de la caféine ont longtemps été surévalués en raison de ces symptômes de sevrages : en comparant les états entre une personne sous caféine et une personne qui en est privée durant sa période de sevrage, le grand écart est en effet flagrant, mais ne prend pas en compte l’état normal du sujet. L’accoutumance intervient dès 400 mg trois fois par jour durant sept jours et la dépendance apparaît lorsque la consommation est continue, comme ce fut le cas chez Balzac. La bonne méthode pour se sevrer est de diminuer progressivement sa consommation et non d’arrêter d’un coup. Attention, les cafés « décaféinés » contiennent toujours de la caféine en quantité non négligeable.

Pour résumer :

  • Une dose de moins de 500mg de caféine/jour (environ 6 tasses de café) est rarement dangereuse
  • L’accoutumance à la caféine intervient cependant rapidement
  • Le sevrage est rapide mais peut entraîner des maux pénibles
  • Il est conseillé de réduire progressivement sa dose de caféine afin d’effectuer un sevrage sans gênes
  • Les cafés décaféinés contiennent de la caféine
Parkinson

Des pistes pour la maladie de Parkinson

Comme toute substance psychotrope, la caféine offre donc des avantages certains et des inconvénients non moins implacables. Des études récentes réalisées à grande échelle ont montré que la caféine réduirait le risque de développement de la maladie de Parkinson. Le processus est encore mal connu des chercheurs, mais aurait un lien avec le rapport de force entre récepteurs d’adénosine (qui se multiplient en cas de prise prolongée ou fréquente de caféine) et récepteurs de dopamine (qui diminuent lorsque les récepteurs d’adénosine augmentent), impliqués dans la maladie de Parkinson. Attention tout de même, la diminution de la dopamine entraîne de nombreux effets pervers, pouvant aller jusqu’à la dépression. Une preuve de plus de l’ambiguïté de la caféine qui oscille toujours quelque part entre le poison et le remède.

Des pistes pour la maladie de Parkinson

« Les premières interdictions dans le sport ont logiquement porté sur les stimulants et c’est même eux qui alimentent la liste la plus longue des substances interdites. L’AMA précise que « tous les stimulants sont interdits » et que tous les analogues, par la structure chimique ou l’effet biologique, d’une molécule stimulante listée sont également interdits », explique le Docteur Jacomet, membre du Comité Monégasque Antidopage. La caféine entre indéniablement dans cette case-là. De fait, de 1999, date de création de l’AMA à 2004, la caféine figurait sur la Liste des interdictions. La consommation extensive et la difficulté à aboutir à des contrôles précis et justes ont forcé l’AMA à retirer la caféine de la Liste, un peu comme le sultan du Caire en son temps en leva la prohibition. « Il n’y a pas d’autre solution que de garder la caféine sous surveillance puisqu’on ne peut ni l’autoriser, ni l’interdire, comme le voudrait le Code mondial du sport », conclue le Dr Jacomet. La caféine réintègre donc cette année le programme de surveillance de la Liste de l’AMA.

wada_2019_french_prohibited_list-1
EnglishFrançais